vendredi 30 septembre 2011

L'Or


L'Or ou la merveilleuse aventure du Général Johann August Suter est une œuvre de Blaise Cendrars publiée en 1925, et le premier roman de ce dernier, connu jusqu'alors pour ses poèmes. C'est un roman d'aventure, qui s'apparente à une biographie de John Sutter. En effet, l'auteur retrace la vie de cet homme, aventurier suisse parti chercher fortune dans le Nouveau Monde.

 Le personnage nous est présenté de manière singulière au début de l’œuvre, puisqu'il est présenté comme étant "l'étranger" lorsqu'il est de passage en Suisse avant d'embarquer pour l'Amérique. Par ailleurs, Cendrars introduit le personnage de John Sutter comme s'il voulait nous le rendre antipathique. Ainsi, il provoque un violent émoi lors de son passage dans un village suisse : "Cette brusque apparition et ce départ précipité bouleversaient ces paisibles villageois. L'enfant s'était mis à pleurer. La pièce d'argent que l'étranger lui avait donnée circulait de main en main. Des discussions s'élevaient. L'aubergiste était parmi les plus violents. Il était outré que l'étranger n'ait même point daigné s'arrêter un moment chez lui pour vider un cruchon. Il parlait de faire sonner le tocsin pour prévenir les villageois circonvoisins et d'organiser une chasse à l'homme". Pire encore, lorsque l'auteur nous délivre enfin le nom de son personnage principal, on est accaparé par une toute autre information qui tend à rendre John Sutter détestable : "Johann August Suter venait d'abandonner sa femme et ses quatre enfants". Surprenante manière de nous présenter l'aventurier, d'autant plus que tout le reste de l’œuvre semble ensuite s'échiner à nous le rendre sympathique. Peut-être ici un moyen pour Cendrars de renforcer l'émotion autour du personnage, tout comme ce sera le cas tout au long du roman, avec l'alternance de passages très éprouvants et difficiles pour le héros et de passages remplis d'espoir.

Le voyage pour l'Amérique est comme un nouveau départ pour John Sutter. Il quitte l'Europe en tant que "banqueroutier, fuyard, rôdeur, vagabond, voleur, escroc" pour se présenter en inconnu sur territoire inconnu. Arrivé au Nouveau Monde, il enchaîne alors plusieurs métiers, tous aussi différents les uns que les autres : maréchal-ferrant, dentiste, empailleur, tailleur pour dames, boxeur, etc. Une fois établi tenancier d'une taverne, il est attiré par les récits des voyageurs qui parlent du grand Ouest en des termes qui excitent sa soif d'aventure, et il décide de partir s'établir en Californie (qui fait partie du Mexique à l'époque). Après un voyage un peu mouvementé, il arrive et installe alors un gigantesque complexe agricole, qu'il baptise la "Nouvelle-Helvétie", et commence à faire fortune à force d'abnégation et d'habileté.

Et c'est ici que tout bascule, au moment où John Sutter pense pouvoir profiter des fruits de son travail : "Rêverie. Calme. Repos. C'est la paix. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non : c'est l'OR ! C'est l'or. Le rush. La fièvre de l'or qui s'abat sur le monde. La grande ruée de 1848, 49, 50, 51 et qui durera quinze ans. SAN FRANCISCO !". En effet, l'un des employés de Sutter découvre de l'or et la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, provoquant l'affluence de milliers de personnes qui s'installent sur les terres du suisse. Ce dernier est abandonné par ses employés, et la région plonge dans le chaos, la loi devenant celle du colt (même les soldats envoyés pour ramener l'ordre désertent pour aller chercher de l'or). La femme de Sutter, venue le rejoindre avec ses enfants, meurt d'épuisement en arrivant, frappée par la détresse de son mari. S'ensuivent alors périodes de doutes et d'accalmies pour Sutter, qui se bat avec la justice pour obtenir ce qui lui revient de droit, et qui lui a été volé par des milliers de personnes. Mais irréalisable combat que celui d'un homme contre des milliers d'autres, et Sutter meurt seul, sans avoir jamais obtenu gain de cause. Sa mort laisse un goût amer, on est choqué par l'ultime revers cruel qu'il subit et qui l'achève, d'autant plus que ce revers est des plus ironiques : Sutter meurt effectivement en pensant avoir enfin gagné son combat, sous le coup de l'émotion, ou du soulagement de celui qui s'est longtemps battu pour une cause et qui part tranquille.

Ce jour là, John Sutter est à Washington, assis devant le palais du Congrès : "Tout à coup un môme de sept ans dévale quatre à quatre le grand escalier de marbre, c'est Dick Price, le petit marchand d'allumettes, le préféré du général. 
- Général ! général ! crie-t-il à Suter en lui sautant au cou, général ! tu as gagné ! Le Congrès vient de se prononcer ! il te donne 100 millions de dollars !
- C'est bien vrai ? c'est bien vrai ? tu en es sûr ? lui demande Suter tenant l'enfant étroitement embrassé.
- Mais oui, général, même que Jim et Bob sont partis, il paraît que c'est déjà dans les journaux. Ils vont en vendre ! et moi aussi je vais en faire des journaux ce soir, des tas !

Suter ne remarque pas 7 petits voyous qui se tordent comme des gnomes sous le haut portique du Congrès et qui rigolent et font des signes à leur petit copain. Il s'est dressé tout raide, n'a dit qu'un mot : "Merci!" puis il a battu l'air des bras et est tombé tout d'une pièce. 
Le général Johann August Suter est mort le 17 juin 1880, à 3 heures de l'après-midi.
Le Congrès n'avait même pas siégé ce jour-là."

Outre la compassion qu'on éprouve envers le personnage principal qui voit toute une vie de travail, de courage et d'abnégation bafouée, on est marqué par la diversité des paysages décrits (tantôt une ville naissante, tantôt les grandes plaines de l'Ouest) et leur beauté, on a l'impression de voyager autant que John Sutter. L’œuvre surprend également au niveau de ses brusques changements de températures en alternant moments calmes, heureux et moments emplis de chaos et des désillusions de Sutter.

Bref, une œuvre qui parvient aisément à nous communiquer la fièvre de la ruée vers l'or.

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